La publication du précédent numéro de la Revue juridique des étudiants de la Sorbonne, en janvier 2022, annonçait une réinvention des pratiques éditoriales au sortir d’une crise sanitaire éprouvante et, semblait-il à l’époque, condamnée à rester l’épicentre des débats politiques et sociétaux. À la relecture de l’éditorial rédigé à l’époque par Charlotte Collard, je ne peux m’empêcher d’être stupéfaite face à la tournure qu’ont finalement pris les évènements de ces derniers mois.
En effet, six mois après la publication du dernier numéro de cette Revue, l’avenir du droit – ainsi que des droits individuels – n’a jamais semblé aussi incertain. Nous avons ainsi assisté au renversement de tous les fondements les plus basiques du droit international, à commencer par le principe souveraineté territoriale, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, marquant au passage le retour d’un conflit armé et de violations massives des droits de l’homme, en plein cœur du continent européen. Puis à l’effondrement de droits si difficilement acquis, mais si facilement supprimés, avec l’annulation par la Cour suprême des États-Unis des arrêts Roe v Wade[1] et Planned Parenthood of Southeastern Pa. v Casey[2], remettant en cause durablement l’accès à l’avortement pour un grand nombre de citoyennes américaines[3]. Ces remises en cause successives de principes juridiques et de droits que l’on pensait immuables sont d’autant plus choquantes qu’elles se sont produites là on l’on s’y attendait le moins : l’Europe n’était-elle pas un modèle à suivre en matière de protection des droits de l’Homme, notamment grâce à l’efficacité de la Cour européenne des droits de l’Homme ? Les États-Unis n’étaient-ils pas un emblème de progressisme et de modernité ? Cette incertitude quant au respect par les États de la rule of law, ainsi qu’à leur capacité à protéger les droits individuels appelle nécessairement à la réflexion, puis à la réforme.
C’est de cette réforme, sous toutes ses formes, dont il est question dans ce numéro. Réforme tout d’abord de la Revue elle-même, avec une refonte totale de l’équipe éditoriale. En compagnie de Lisa Forrer, devenue cheffe du Comité éditorial, je suis ravie d’accueillir nos nouveaux éditeurs et éditrices : Alex Alexis, Amani Ayadi, Vincent Boucher, Marina Lovichi, Rémi Poirot, Benjamin Tendron, Guillaume Tourres et Marco Santoro.
Réforme ensuite, comme fil rouge reliant l’ensemble des contributions publiées dans ce numéro. Vous y trouverez ainsi la retranscription d’une des interventions de notre dernière conférence, organisée en septembre dernier, portant sur La chanson francophone et le droit. Cette retranscription traite de la réforme nécessaire des pratiques de la SACEM, face à l’émergence du numérique au sein de l’industrie musicale, sujet passionnant que nous avait présenté Simon Lhermite (« Le rôle de la SACEM dans l’évolution de l’industrie musicale francophone à l’heure du numérique »).
Il est également question de réforme dans l’article proposé par Pierre-Claver Kamgaing (« Réforme de la procédure civile et réforme du droit des contrats. À propos de quelques influences réciproques »), qui interroge cette notion s’agissant des influences réciproques dans les refontes du droit des contrats et de la procédure civile. Comme l’auteur le souligne très justement, si la réforme a pour but l’amélioration de l’efficacité du droit, elle peut également être créatrice de nouvelles difficultés, notamment en matière civile où les deux domaines en cause s’influencent mutuellement. Ces difficultés ressortent particulièrement de la contribution d’Ernest Awono, intitulée « Du volontarisme au solidarisme contractuel : aspects d’un réajustement progressif des paradigmes classiques de la théorie générale du contrat ». Ce dernier démontre que, si l’inclusion du solidarisme contractuel dans la pratique juridique française et camerounaise est largement souhaitable, cette inclusion ne s’est pas faite sans difficultés. Ainsi, elle soulève encore de nombreuses questions théoriques et pratiques, au titre desquelles figure la crainte (infondée, selon l’auteur) d’instaurer une certaine insécurité juridique au cours de l’exécution contractuelle. Enfin, Rafaela de Deus Lima souligne une des évolutions majeures des méthodes de gestion et de protection de l’environnement, à savoir la patrimonialisation du bien environnemental et son encadrement par le biais d’une participation accrue du public (« La participation du public et la protection de l’environnement comme patrimoine commun : l’analyse de la Convention d’Aarhus et de l’Accord d’Escazú »).
En somme, ces contributions ont pour point commun de mettre en avant la capacité unique d’évolution et d’adaptation des outils juridiques, y compris – et surtout – face à des défis monumentaux tels que l’urgence climatique. Rien de tel donc, dans une période aussi incertaine qu’est la nôtre, qu’un rappel de cette extraordinaire qualité.
Anne-Charlotte Cervello
Rédactrice en chef – Doctorante à l’École de droit de la Sorbonne
[1] U.S. Supreme Court, Jane Roe et al. v. Henry Wade, n°70-19, décision du 22 janvier 1973.
[2] U.S. Supreme Court, Planned Parenthood of Southeastern Pa. v. Robert P. Casey, n°91-744, 91-902, décision du 29 juin 1992.
[3] U.S. Supreme Court, Dobbs, State Health Officer of the Mississippi Department of Health et al., v. Jackson Women’s Health Organization et al., n°19-1392, décision du 24 juin 2022.