La publication de ce premier numéro du quatrième volume de la Revue juridique des étudiants de la Sorbonne en cette fin d’année universitaire marque le retour à un rythme de parution semestriel, après une année bouleversée par l’irruption de la pandémie de Covid-19. Un « retour à la normale » à l’image de celui qui est en train d’avoir lieu pour la vie sociale, culturelle et économique. Grâce au ralentissement de l’épidémie et à l’allègement des restrictions sanitaires, la lassitude et la résignation ambiantes laissent place à l’espoir et même à l’euphorie, à en croire la ferveur populaire autour des compétitions sportives et des événements culturels de l’été. La vie académique, elle aussi, a pu se déployer à nouveau au sein des murs de l’université, avec la reprise partielle des enseignements in situ, ou encore les colloques et conférences, qui, contrairement à notre conférence « Droit et cryptonationalisme », organisée en ligne en février dernier (et dont les actes seront publiés dans le prochain numéro), ne sont plus réservés à nos bureaux ou salons respectifs. Ces retrouvailles en chair et en os mettent du baume au cœur. Elles nous permettent aussi de « respirer encore », comme le chante Clara Luciani dans son nouvel album, Cœur. Ne soyez pas surpris par cette référence, il en sera peut-être question lors de notre prochaine conférence, qui portera sur le droit et la chanson francophone. Nous avons hâte de vous retrouver le 21 septembre prochain sous un format hybride, à la fois en « présentiel » et en visio-conférence. La prudence nous oblige cependant à préciser : sous réserve de l’évolution de la situation sanitaire. Cette prudence est le signe d’un optimisme qui se doit, malheureusement, d’être modéré face au spectre des nouveaux variants du coronavirus. Une prudence qui semble nécessaire et même salutaire si, au lieu d’un retour précipité à « l’anormal », elle s’accompagne d’une véritable réflexion sur les absurdités mises en avant par la crise liée à la pandémie de Covid-19, telles que le manque de valorisation de professions dont le caractère essentiel a enfin été reconnu, l’impact des activités humaines sur un environnement auquel elles sont consubstantielles, ou encore le rapport aux autres animaux, point de départ de ce cataclysme mondial. Les universitaires ont commencé à prendre leur part de responsabilité dans la concrétisation du « monde d’après », slogan martelé lors de l’effervescence du premier confinement, précisément pour qu’il ne reste pas au stade du simple slogan. La Revue juridique des étudiants de la Sorbonne entend y participer, comme en témoigne ce nouveau numéro.
Un numéro dans lequel il est, cette fois-ci, inévitablement question du Covid-19. Les mesures adoptées en réaction à l’irruption de la pandémie font en effet l’objet de deux articles, qui abordent la question sous les angles économique et constitutionnel. Clara Grudler, doctorante à l’École de droit de la Sorbonne, nous propose une étude du droit européen des aides d’État, mobilisé afin de soutenir des économies fragilisées par les confinements successifs. Si l’autrice met en avant la rapidité et la capacité d’adaptation dont les institutions européennes ont fait preuve, elle souligne également l’insuffisance du recours au droit de la concurrence pour répondre à une crise multifactorielle et pointe les risques d’un retour, à plus long terme, d’un interventionnisme de la puissance publique. Le recours à des mesures d’exception de manière prolongée entraîne nécessairement des interrogations sur la manière dont le droit commun pourrait être impacté, voire en certains cas expressément modifié pour pérenniser de telles mesures. La nature de l’état d’exception et la question d’une « exception constitutionnelle sanitaire » sont ainsi abordées par le Professeur Anderson Vichinkeski Teixeira (Universidade do Vale do Rio dos Sinos) qui, dans une analyse retenant les contributions de la pensée de Carl Schmitt, examine les fondements constitutionnels des mesures restrictives récemment adoptées en France et au Brésil.
Nos lecteurs et lectrices ayant un penchant constitutionnaliste ne seront pas déçus : une deuxième contribution relevant de cette spécialité figure dans ce numéro, celle de Vincent Boucher, doctorant à l’École de droit de la Sorbonne. Il nous plonge dans le processus constituant islandais qui a suscité de l’intérêt du fait de la place prépondérante accordée aux citoyens grâce au numérique. L’auteur va cependant au-delà des vertus accordées à l’utilisation démocratique des nouvelles technologies, pour présenter les limites d’un processus dont le projet de Constitution n’est toujours pas entré en vigueur. Vincent Boucher nous montre ainsi que les frontières nationales ne sont pas celles de la recherche juridique, constat qui sied également à l’article de Zia Akhtar (membre de l’association de barristers londonienne Gray’s Inn). Il y pose un regard extérieur sur la laïcité, notion qui possède une signification particulière en France, particulièrement lorsqu’elle est mobilisée pour justifier une liberté d’expression dont l’auteur questionne les limites dans le domaine de la satire des religions.
Du religieux il est également question, dans un tout autre ordre d’idées, dans l’article d’Ashwani Tripathi (avocat à Tripathi & Associates en Inde), d’Anjali Tripathi et de Nikunj Bhatnagar (tous deux étudiants à l’Amity Law School Delhi) qui questionnent le caractère sacré du lien marital lorsqu’il est souillé par le crime du viol conjugal. Ils nous proposent une étude comparative de la législation nationale au sujet du viol marital (y compris l’absence de celle-ci). Ils mettent par ailleurs en avant la nécessité de nouvelles règles internationales et régionales en vue de prévenir et de punir ce crime, dont l’ampleur ainsi que les conséquences sur la santé physique et mentale des femmes sont soulignées. Un article qui promeut les droits des femmes, perspective dans laquelle s’inscrit également Denys-Sacha Robin (docteur en droit de l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, actuellement Maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre), dans son article consacré au congé de maternité des doctorantes contractuelles. Si la question est taboue tant la parentalité semble, pour nombre d’entre nous, inconciliable avec la préparation d’une thèse, son régime juridique doit être clarifié au nom de l’égalité des chances entre jeunes chercheurs, d’autant plus que, au vu des témoignages apportés par l’auteur, la pratique universitaire tend à s’éloigner des textes applicables. Les principes d’égalité et de non-discrimination portés par cet article sont également au cœur de celui de Charlotte Magnien, doctorante à l’École de droit de la Sorbonne, qui s’intéresse à la discrimination à rebours. Elle nous propose un état des lieux de la mesure dans laquelle cette discrimination spécifique (qui survient lorsque l’application du droit de l’Union conduit à traiter plus favorablement des situations communautaires que des situations purement internes ou extra-communautaires) est sanctionnée. L’autrice nous propose ainsi une analyse jurisprudentielle mettant en avant une sanction des discriminations à rebours qui est incertaine devant les juridictions ordinaires, mais qui se retrouve renforcée par la collaboration des juges.
Ces articles forment ensemble un numéro éclectique qui, je l’espère, saura capter votre attention. Sa publication n’aurait pas été possible sans le travail fourni par les membres du Comité de lecture, garants de la qualité de cette Revue, que je tiens à remercier pour la rigueur et l’exigence dont ils font preuve. Cette Revue est bien sûr le fruit d’un travail collectif, porté par ses cofondateurs, poursuivi par les membres passés et actuels d’une équipe éditoriale qui a été récemment renouvelée. Vincent Bassani a été rejoint par Anne-Charlotte Cervello et Victor-Ulysse Sultra, et cette année a été marquée par la création des fonctions de « chef du comité éditorial », occupées avec enthousiasme et sérieux par Nolwenn Ribreau. Tant pour la gestion éditoriale des articles, la communication, ou encore l’organisation des conférences, leur contribution est essentielle. Je profite enfin de ces lignes pour féliciter Virginie Kuoch, à qui j’ai succédé en mars dernier, pour le travail accompli dans des circonstances difficiles, et pour la remercier de la confiance qu’elle m’a accordée pour continuer à porter ce beau projet.
Charlotte Collard
Rédactrice en chef - Doctorante à l’École de droit de la Sorbonne